Tout avait explosé. Tu entendais ton coeur battre du moment où tes yeux avaient parcourus ces lignes. Lignes aussi maudites que ta mémoire, qui dévoilaient aux yeux de tous ce passé misérable. Tu avais pensé à retrouver Ross, savoir comment elle allait, mais ton égoïsme, pour cette fois, avait prôné, et tu t’étais isolé, loin, à l’autre bout de la Colonie. Tu n’avais pas envie d’affronter les questions, les regards, les murmures. Croiraient-ils ces mots, écrits dans ce journal ? Tu n’en savais rien. En fin d’après midi, ce premier Mars, tu avais rejoint Chiron, lui demandant à parler seul à seul. Loin de toi l’idée de lui parler de cela, où encore de la crise que tu avais eut en étant coincé avec Skye dans le métro. Tu te sentais faible en ce moment, tes repères lâchaient et tu ne servait plus à rien. Tu repoussais les monstres, mais la pluie te rendait définitivement moins puissant, même si tu avais vu peu à peu ton pouvoir changer et s’adapter à la situation.
Non, tu avais rencontré Chiron pour t’autorisé à fuir, à partir, à mettre des pensées lucides sur tout cela, loin des regards, loin des murmures.
Pour autant, tu ne fuyais pas gratuitement. Plusieurs de tes chevaux étaient maintenant entraînés, prêts à être vendus, rapportant beaucoup à la Colonie et te fournissant également ton salaire. Tu étais donc parti vers le Canada, en Alberta, pour une semaine, au volant d’un camion de transport, en direction d’une grande vente, alternant les ventes aux enchères et les ventes privées. Tu avais mis quelques unes de tes bêtes sur internet, et elles s’étaient vu réservé, tandis que d’autres seraient vendues aux enchères. L’endroit n’était pas rustre, tu t’étais renseigné, et le grand air te ferait du bien.
Après deux bons jours de voyages, à faire des pauses régulières pour sortir les chevaux et te reposer également, tu étais arrivé au coeur de la manifestation, seul. La pluie n’était qu’un lointain souvenir, même si l’air était chargé de nuages denses. Tu avais tenu à venir seul, pour justement ne pas affronter les regards de qui que ce soit. Skye était la seule à savoir, avant. Mais aujourd’hui tu craignais les autres. Alors tu te changeais les idées. Tes ventes directes s’étaient déroulés rapidement et tu attendais la fin des enchères, le lendemain, pour empocher l’argent des enchères. Mais au détour d’un couloir, c’est une discussion que tu captes et qui t’attire :
– Je te jure, personne en veut de cette carne !
– Encore ton 5 ans ?
– On a du l’endormir pour le mettre dans le van, il a déjà pété deux boxs depuis qu’on est là, j’te jure, il va finir a l’abattoir lui.
–
Excusez moi, je vous entendais parler... De quel cheval s’agit-t-il ?L’homme, plus petit que toi, avait haussé un sourcil à ta dégaine citadine, mais avait néanmoins consenti à te montrer l’animal, pensant sans doute que tu pourrais l’acheter. Quand tu lui demandes de te parler du cheval, sur le trajet, tu l’écoute, calmement :
– C’est de la graine de champion mais il a du caractère ! Il est fort, mais ça allait avant, j’arrivais à le tenir. Mais depuis l’incendie dans lequel il s’est fait prendre... Ce n’est plus le même.
Il s’arrête, et toi de même, devant le box, où une toile de jute permet de masquer un peu la lumière et surtout l’ambiance agitée. Tu écartes doucement le tissu, quand un coup frappe la porte, te forçant à reculer. Néanmoins tenace, tu reviens observer, discret, constatant avec horreur la maigreur de l’animal, témoignant de la difficulté à le nourrir - pourtant tu remarques le foin à sa disposition - ainsi que les brûlures presque guéries du cheval bai. Il est grand, majestueux, et tu croises son regard, un œil fou, un œil apeuré. Un regard qui résonne en toi. Le même œil traumatisé que tu devais aborder autrefois.
–
Combien-vous espérez en tirer ?– J’en sais rien, répond le propriétaire en se grattant la nuque. Ce qu’on serait prêt à m’en offrir je dirais.
Ta mâchoire se contracte, et tu calcules mentalement ta part sur ces ventes, avant de finalement proposé :
–
Je vous en propose 400 dollars.– Vous seriez prêt à acheter ce fou ? Mais il va vous tuer !
–
400 dollars ? Le vendeur fait la moue, se massant la nuque, gêné, avant de finalement accepté l’offre. Tu t’étais sans doute fait arnaquer, proposant toi-même un prix bien plus élevé que ce qu’il t’aurait sans doute proposé, mais il signe rapidement les papiers de la vente, tandis que tu lui tends l’argent.
– Il s’appelle Écho. Bonne chance monsieur.